TDS : un récit normal d’une épreuve anormale

Par Fabien

Commençons immédiatement par la fin : 119km, 7300m de D+, 23h23′ d’efforts, 186ème / 1809 partants… voilà pour les stats ! Mais au-delà de ces chiffres, je vais tenter de retracer le plus fidèlement possible ma petite virée autour du Mont Blanc…

CHAPITRE 1 – LA NAISSANCE ET L’ENFANCE

Moment d’émerveillement, la douleur d’un sommeil trop court vite remplacée par l’excitation de se confronter à un immense défi. Dans le bus qui nous amène à Courmayeur, j’ai déjà une chanson dans la tête (« l’arrière du bus… est dans le bus »…), et quelque chose me dit que ce ne sera pas la dernière ! Petit arrêt technique en descendant puis je me rends tranquillement sur la ligne de départ. Bien entendu, je suis à l’arrache, du coup j’essaie de m’incruster tant bien que mal au milieu de cette foule de coureurs venus des 4 coins du monde. Départ donné à 6H, me voilà parti la fleur au fusil dans un voyage de presque une journée complète. Les jambes sont relativement bonnes, le soleil se lève rapidement en donnant au Mont Blanc une teinte fantastique.

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J’alterne entre différentes pensées : « Ca va être génial! »   « Vais-je bien retrouver mon cerveau là où je l’ai laissé, juste à côté du PC au moment de l’inscription? »   « C’est vraiment un défi à la con mais j’aime ça, me faire mal« …. lorsqu’un élément me ramène à la réalité, une toute petite goutte d’eau qui coule malicieusement le long de la jambe… Mon Camel percé, j’ai déjà connu ça (je m’apercevrai 2H plus tard que j’avais simplement omis de remettre la barre orange fluo pour le fermer correctement)…

La naissance c’est aussi le moment où on découvre la vie, comme ce petit concours très glamour de rots improvisé avec un argentin.  Et puis les ambitions qui sont toujours là : les jambes sont bonnes, le sac un peu lourd mais on s’en accommode…

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Au final, cette insouciance me transporte sans difficultés jusqu’au col du Petit St Bernard, ou après 35km de course et des encouragements en mode tour de France dans la dernière montée, je bascule en France avec ce sentiment étrange qui te dit qu’il reste encore 84km et que la journée ne fait que commencer…

CHAPITRE 2 – L’ADOLESCENCE

Petit à petit, l’émerveillement cède sa place à la concentration. Les gestes sont plus calculés, le cerveau se met en mode course, j’apprends à découvrir chaque partie de mon corps et à m’exalter sur certains moments de plénitude que je découvre alors. Les douleurs de mon corps alternent aussi vite que les octaves dans la bouche de Maitre Gimms (pardon, je faisais seulement référence à une chanson que j’ai eu dans la tête pendant un moment). La descente vers Bourg St Maurice sur 15km me fait muer d’un coup et sous le coup de la chaleur qui devient écrasante, j’arrive largement entamé au ravitaillement. Les organisateurs avaient pourtant prévenu : « La course commence seulement à Bourg! »… ben ça se voit qu’ils n’ont pas couru les 50 premiers km!!!

CHAPITRE 3 – L’AGE ADULTE

Le ravitaillement à Bourg est terrible. Avec la même stupéfaction que j’ai eu lorsqu’on m’a dit que le père Noël n’existait pas ou que Armstrong était dopé, je réalise soudainement qu’il va falloir faire avec toutes ces douleurs pour atteindre l’arrivée. Je craque lorsque j’allume mon téléphone et que je lis tous les messages d’encouragement que je reçois ! Mon Dieu, ce coup de boost impressionnant… Du coup je me dis « allez, bouge toi le cul, on n’est pas là pour acheter le terrain! « . Me voilà reparti à l’assaut du passeur de Pralognan et de ses terribles 2000m de D+ quasi-consécutifs ! Il fait 35° au soleil et les coureurs cherchent désespérément l’ombre. Au fur et à mesure de la montée, un traileur pousse au pied de chaque arbre. Comme des bienfaiteurs inattendus, des locaux à l’apéro dans leur chalet à ce moment-là ont sorti leur jet d’eau et je me jette dessus comme si j’avais soif. Le mode mécanique est enclenché et mon moral gonfle à chaque concurrent dépassé. Mon rythme est bon et malgré un arrêt difficile au fort de la Platte, je repars à fond! (3km/h de moyenne sur cette montée…:) ) Le paysage au sommet du passeur est magnifique et la descente ultra-technique qui suit l’est tout autant. Je reconnais le Cormet de Roseland au loin et je continue à doubler du monde jusqu’au ravitaillement.

Je retrouve mon « sac de survie » et je bois 2 bols de soupe aux vermicelles, remède miracle lorsque plus rien ne passe. Je ne m’attarde pas à ce ravitaillement et je file en direction du col du Joly. Le jour commence à tomber petit à petit. Mon rythme est très bon jusqu’à la Gitte… et là… d’un seul coup… plus rien ! Mais quand je dis plus rien c’est vraiment plus rien ! Je suis frigorifié soudainement, l’envie de vomir est détestable, et les jambes ne veulent plus trop avancer… 100m je m’arrête…100m je m’arrête à nouveau… Tant pis, j’avance tant bien que mal et je me dis que ça va forcément revenir à un moment donné ! Je serre les dents jusqu’au col du Joly et mon orgueil en prend un coup à chaque fois qu’un concurrent me double. Je suis au plus mal lorsque j’arrive au ravitaillement.

Je me fais prendre en charge par les infirmières qui me font des tests sanguins pour voir si je ne suis pas en hypo ou en carence de quelque chose. Elles sont adorables et me ramènent à manger alors que je suis au plus mal sous la couverture de survie. Je me pose vraiment la question de continuer ou non. L’objectif temps du départ étant désormais cuit et ne pouvant plus rien avaler, c’est vraiment très très dur… Puis une des infirmières me glisse : « si vous voulez arrêter, vous pouvez rester! ». Cette phrase a un effet immédiat sur moi et je me lève et m’en vais en clopinant de ce « maudit » ravitaillement.

CHAPITRE 4 – LA SAGESSE

La nuit est bien présente, et jusqu’à la fin, je ne verrai plus qu’un défilé de lampes frontales. Un défilé de zombies auquel je participe, de coureurs fatigués courant après un but impalpable. Mes jambes de vieux avancent plus ou moins toutes seules et mon esprit vagabonde au gré de mes pensées. Le reste de la course ne sera que souffrance physique (jambes rigides, estomac en vrac, acceptation nulle de n’importe quel aliment que ce soit) et évasion mentale. Après un dernier ravitaillement aux Contamines au bout d’une interminable descente sur la route, le terrible col du Tricot achève mes dernières forces. L’obsession de l’arrivée est telle qu’elle me fait oublier le « Pourquoi je suis là ». C’est très dur, et les 5 dernières heures seront vraiment difficiles. Pourtant, aux alentours de 5h20 du matin, je passe la ligne d’arrivée dans les rues désertes de Chamonix heureux.

Pourquoi heureux ? Je n’en sais rien. Pour le défi accompli? Certainement. Parce que j’ai aimé tous les soutiens que j’ai reçu ? A coup sûr. Pourquoi j’ai fait ça ? Je garde cette réponse pour plus tard, car je ne suis plus vraiment sûr de rien après une telle course. La beauté de cet ultra-aventure réside sans doute dans la somme de tous les petits moments d’accomplissement que j’ai eu tout au long de cette balade, mais pas seulement…. la quête continue !

 

 

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